mardi 26 février 2008

Comment ne rien dire sur la laïcité

Ma profonde réflexion sur le sujet de la laïcité est née de mes travaux académiques (cf. mes articles). En effet, de par mon interaction avec mes professeurs à la renommée mondiale (avec lesquels je ne suis pas d’accord, j’y reviendrai), j'ai pu donner naissance à une refonte globale de la manière d’appréhender le sujet, ce qui n’attend qu’à être concrétisé dans ce que j’appelle «le principe de la destruction refondatrice des principes». Loin de l’approche naïve de cette question adoptée par les académiciens depuis des siècles, je me propose de replacer cette question au sein d’un paradigme ou l’historicité prend sa place naturelle, loin des considérations superficielles nées d’un prisme déformé par l’attitude militante de certains intellectuels. Aux questions naïves du type «pour ou contre la laïcité» adoptées par la majorité des intellectuels de tous bords, je propose une nouvelle lecture, qui peut sembler paradoxale de prime abord, mais qui ironiquement est en osmose avec le principe général d’historicité susmentionné. En effet, il faut savoir contextualiser systématiquement l’application des grands principes et de les réinterroger à l’aune de la réalité vécue par les contemporains et non à travers une vision erronées des orientalistes d’un coté, et des militants religieux de l’autre; car ce que j’appelle les laïcards ne sont en réalité qu’une face caché d’un principe globalisateur

قلوباليزاتور

qui veut que l’historien ne trouve pas sa place bien définie entre tous les tenants de la question : l’imam, le politique, et l’intellectuel supposément laïc, mais en fait militant.

Je reviendrai sur le sujet dans de prochains articles académiques.

lundi 18 février 2008

Frère Tariq

Après un débat télévisé, qu’il soit entre candidats à des élections ou entre intellectuels, il est coutumier en France qu’une armada de journalistes et analystes viennent décortiquer l’événement pour mieux l’expliquer aux imbéciles de téléspectateurs que nous sommes. Ils contextualisent, ils font des effets de zoom sur certains passages, négligent certains autres de sorte à uniformiser l’opinion que les gens se font de l’échange, qu’ils ont pourtant vu de leurs propres yeux, ou tout au moins à limiter leur champ d’interprétation. Parce que livrer le débat tel quel est dangereux pour nos cerveaux mous et mal construits. Ca a été le cas après le débat Royal/Sarkozy, ou comme par miracle, il semble que le président actuel ait gagné l’échange, mais il en a aussi été ainsi après l’échange entre Tariq Ramadan et le même Sarkozy sur les questions d’immigration et de religion.

Le passage unanimement récriminé par les médias Français, et par conséquent par une écrasante majorité des gens avec lesquels j’ai eu le malheur de discuter du sujet, c’est la proposition de Tariq Ramadan d’un moratoire sur la lapidation en Arabie Saoudite (ici). Ladite proposition s’était transformée en «Tariq Ramadan est pour la lapidation des femmes». Point. Le malheureux a bien expliqué que la notion de lapidation des femmes est une notion chrétienne, qu’en Islam il s’agit de lapidation tout court, que sa proposition est pédagogique puisque jusqu’à nouvel ordre, l’Arabie n’est pas encore un département Français, et que les lois appliquées ne peuvent pas être décrétée de Paris (ici), mais rien n’y fait. Ses affirmations qu’il était absolument contre la lapidation n’y ont rien fait non plus. En revanche, quand Jacques Chirac se prononce pour un moratoire sur la peine de mort en Chine, la proposition passe comme une lettre à la poste, elle est même applaudie. La malhonnêteté intellectuelle avec laquelle ce personnage est médiatiquement traité dépasse l’entendement.

Cela va encore plus loin puisque sa notoriété médiatique est désormais mise à prix. La maison d’édition Flammarion refusa un livre qu’elle a pourtant commandé sur Ramadan car il ne le discrédite pas (ici). Madame Fourest a commis un livre à charge où, après avoir étudié des milliers de discours de Ramadan, elle en est arrivée à conclure qu’il s’agit là d’un héritier des Frères Musulmans et qu’il use d’un double langage, selon qu’il parle aux musulmans ou aux occidentaux. La preuve? Et bien, Tariq Ramadan cite Qardaoui dans un ou plusieurs de ses livres, alors que ce même Qardaoui explique dans ses prêches la manière avec laquelle il faut battre sa femme (ici). La pertinence de l'argument m'échappe un peu, peut-être qu'il y en a qui ont compris. Mohamed Sifaoui a également pondu un documentaire fortement subjectif sur les intentions de Tariq Ramadan (ici).

En revanche, le tapis rouge est déployé pour les «bons» musulmans. Qui sont ces gens exceptionnelles? Et bien il s’agit de musulmans, inaudible auprès des pays musulmans (c’est quand même ennuyeux), qui disent aux occidentaux ce qu’ils veulent entendre, en s’arrêtant aux déclarations de principe. Ils sont pour la laïcité, pour la démocratie, contre l’extrémisme religieux, pour la parité hommes-femmes et contre les discriminations raciales et religieuses et la xénophobie. Tel est le vade-mecum de tout musulman «éclairé», tout un chacun – moi-même d’ailleurs - se retrouve aisément dans ces déclarations d’intention qui sentent bon l’humanisme et la modernité. Sauf que malheureusement, cette somme de principes, seule, ne vaut pas grand-chose quand on veut en débattre sérieusement.

Lors de l’excellente émission de Frédéric Taddei (ici), nous avons assisté à un débat entre Tariq Ramadan et notre compatriote binational Abdelwaheb Meddeb. A priori, les jeux étaient faits. D’un côté, un intellectuel éclairé, de l’autre la bête noire des médias, le héraut du double discours, le petit-fils du fondateur des frères musulmans, le prédicateur aux dérapages multiples. Ce que nous avons découvert dans ce débat, c’est que la personne dénuée d’éthique du débat, la personne qui interrompait son interlocuteur, la personne qui était incapable de développer un discours cohérent n’était pas celle qui nous était désignée. La laïcité prime sur la démocratie, les millions de victimes humaines de l’administration américaine sont des dégâts collatéraux dans la guerre saine contre le terrorisme. Voilà le discours de monsieur Meddeb, du brouillon, de l’incohérent, de l’aberrant.

Tariq Ramadan en revanche est sorti – trop grandi de ce débat, puisqu’il a eu le loisir de faire une démonstration de sa culture, de sa précision et de son tact. Il n’en reste pas moins qu’à son argumentation, il manque un maillon essentiel. En effet, les positions prises par monsieur Ramadan tirent leurs légitimité en grande partie qu’on a là un intellectuel supposément crédible pour les deux bords: les occidentaux d’un coté puisqu’il use des mêmes boites à outils linguistiques et intellectuelles qu'eux, et les musulmans de l’autre coté, puisqu’il est islamologue et partage les mêmes référentiels idéologiques qu’eux. L’argument choc utilisé par Tariq Ramadan est qu’il est audible auprès des musulmans. Le problème, c’est que rien n’est moins sûr. Son discours est certes plus susceptible de parler aux musulmans, mais qui connait réellement monsieur Ramadan chez nous? Le voit-on par exemple mettre la main dans le cambouis des débats de coqs sur nos 300 chaînes satellitaires panarabes? Tirer sa légitimité d’être plus réaliste et plus proche de la rue bouillante moyen-orientale, et ne pas y être connu ni écouté est, et c’est le moins qu’on puisse dire, un vrai handicap.

mardi 12 février 2008

Demain, je donne ma main à couper

Notre communauté a réussi à bâtir un petit paradis terrestre dans ce Londres gris et brumeux. Loin des conceptions utilitaristes de la personne prôné par ce satané système capitaliste, dans notre quartier les commerçants s’entraident, s’échangent leurs clients, se prêtent de l’argent mutuellement, et sans intérêts. Tout tourne autour du lieu de prière et autour de nos anciens qui guident les jeunes que nous sommes vers le droit chemin, le seul qui permet le bonheur, et sur terre et dans les cieux. La confiance est absolue au sein de notre communauté. Jamais un frère ne lèverait son regard sur ma sœur, ma mère ou ma femme. Jamais il n’essaierait de me duper sur une marchandise. Et si jamais cela arrivait, il serait le premier à se dénoncer et à exiger d’être puni.

La semaine dernière, il y a eu un litige financier entre deux voisins. Et bien, ni l’un ni l’autre ne se sont échinés à engager un avocat et à passer par un circuit juridique impie qui aurait pu prendre des mois, voire des années, et de l’argent versé indirectement aux soldats qui martyrisent nos frères. Non, chacun s’en est remis à l’autorité du sage Abou Houssam, notre prince local. En quinze minutes, le différend était réglé et tous deux ont accepté le verdict. Pas de casier judiciaire, tout le processus est transparent à la sphère publique. Notre système est inattaquable et est très proche du fonctionnement des premières générations bien guidées. Seule la peine capitale demeure irréalisable. Maquiller une exécution en suicide n’est pas aisé, et les anciens ont décidé d’un moratoire sur la question, et de nous en remettre à la justice Britannique, en attendant mieux. En revanche, les châtiments corporels sont réalisables et réalisés, du moment qu’on n’en arrive pas à l’homicide; on fait comme on peut pour respecter la loi divine. Ma propre cousine et son amant se sont faits fouetter l’année dernière, avec leur consentement et celui de tout le quartier.

Moi, je me suis marié trois fois, avec la bénédiction de ma famille, de mes femmes et de leurs familles. Une anglaise, une bosniaque et une tunisienne. Dans la maison règne une atmosphère surréaliste pour un regard étranger. Passer par la cuisine, et voir deux de mes femmes glousser discrètement en préparant à manger est une sensation que je n’aurais jamais pu vivre en dehors de ma communauté. Ils ont beau crier au scandale, ces adorateurs des institutions modernes, mais on n’en a cure: nous ne violons aucune de leurs lois. Officiellement, mes femmes sont mes concubines. Et si un jour j’en arrivais à en répudier une, Dieu fasse que ça n’arrive jamais, et bien elle ne deviendrait plus ma concubine. Point. Tant que nous sommes solidaires et croyants, ce petit manège comme l’appellent nos détracteurs continuera à leur nez et à leur barbe, par la grâce de Dieu.

Seulement voilà, comme tout le monde, je dois me conformer aux règles, et éprouver ma foi. Ce que je vais endurer demain est écrit depuis la nuit des temps. Je vais finalement expier les longues années passées dans l’ignorance, avant de connaître le bonheur permis. Pourtant, je le jure, je n’ai jamais voulu voler quiconque. Une erreur comptable, qui a fait perdre à mon associé des sommes considérables. Abou Houssam dit qu’il s’agit d’un vol, les anciens ne l’ont pas contredit. Et bien, ainsi soit-il. Je préfère faire face à Dieu purifié de mes méfaits.

Je regarde longuement ma main. J’ai quand même du mal à me faire à l’idée… Demain je la donne à couper.