mardi 10 juillet 2007

L’arnaque démocratique

« La démocratie est le moins pire des régimes politiques » dixit Winston Churchill, et elle doit être perçue en tant que telle, au lieu de fantasmer dessus comme on a l’habitude de faire : « Tel pays est démocratique !! » comme si cela dispensait le pays concerné de tout reproche, comme Israël qui aurait le droit d’asphyxier tout un peuple, sous prétexte que « c’est le seul pays démocratique de la région ». Est-ce vraiment le « demos » qui « cratos » dans une démocratie?

Quand et comment le demos a-t-il la parole pour qu’il cratos ? Tous les quatre à sept ans, une fois pour un régime parlementaire, deux fois pour un régime présidentiel. Il choisit parmi quelques prétendants, et dans l’écrasante majorité des cas, deux candidats seulement ont une chance de l’emporter. Comment choisit-on un candidat ? Sur un « projet ». Qui est-ce qui est d’accord avec Tout ce qu’il y a dans ce projet ? Pratiquement personne, parfois le candidat lui-même n’est pas d’accord sur tous les points de son propre projet (e.g. Ségolène Royal dernièrement). Et durant la législature, très rares sont les mesures qui obtiendraient une majorité si elles étaient soumises à référendum (e.g. Constitution européenne : 90% du parlement français pour le oui, 56% des citoyens français pour le non). Ainsi, le demos choisit quelqu’un qui prendra des décisions qu’il n’approuve majoritairement pas pendant des années et nous dirons pourtant que c’est le peuple qui gouverne.

Laissons de côté le bipartisme qui, lui, fait encore plus fort : deux choix, point barre. Quand, comme aux U.S.A, vous avez plus de 300.000.000 de citoyens, avoir le choix entre deux têtes est ridicule. Les idées politiques de 300.000.000 de personnes se résument donc à deux partis ? Et la seule fois qu’on voit leurs candidats à la télé, ils passent leur temps à dire « I have a plan » parce qu’ils n’ont pas le temps de dire ce que c’est comme plan (voir J.Kerry aux élections U.S. 2004)? Quant aux favoris des élections, pourquoi sont-ils favoris ? Parce que les médias le disent. Parce que les sondages le disent. Le demos veut avoir raison, quand on lui dit qu’Untel a des chances d’être élu, il vote « utile » pour voir son champion l’emporter. Les sondages sont des self-fulfilling prophecies, c'est-à-dire des prophéties qui se réalisent par le seul fait de les énoncer. Ils sont là pour guider le populo vers le vote qu’il faut faire. Comme on le voit, le demos ne cratos nulle part.

Alors, pourquoi la démocratie est-elle le moins pire des régimes politiques ? Parce qu’elle donne l’ « impression » aux peuples qu’ils gouvernent. Comment? En les invitant aux urnes d’abord, et ensuite en les laissant prendre la parole, s’exprimer, bien que cela ne change rien à la situation : « La dictature c'est ‘ferme ta gueule !’, la démocratie c'est ‘cause toujours !’ ». Mais surtout, le plus fort dans la démocratie, c’est qu’elle permet l’alternance. Cela ne veut pas forcément dire que celui qui viendra sera plus en phase avec le peuple, pas forcément, mais les têtes changent, le pouvoir est moins insultant, moins oppressant… ça tourne. Dans nos pays, exiger la démocratie comme un tout-ou-rien relève de l’irréalisme politique. Notre problème c’est l’absence d’alternance. C’est pareil, me direz-vous, puisque la démocratie permet l’alternance ? Pas forcément. La démocratie peut ne pas mener à l’alternance. Et l’alternance peut avoir lieu sans « vraie » démocratie. Exigeons simplement le changement de têtes, une concurrence, même interne au même parti-État, pourvu qu’elle mène au changement de leadership. Je veux avoir un pays alternatif, à défaut d’être démocratique.

7 commentaires:

Mani l'Africain a dit…

Contentons nous de notre situation, pkoi chercher la démocratie et les problèmes qu'elle engendre ? restons comme ça et demandons juste une alternance dans les hautes instances de l'Etat (qui va décider de cette alternance ? oui, j'ai oublié, le parti-Etat-Providence qui veut notre bien, bien sûr).

C'est la 1ère fois que je passe ici et j'avoue avoir trouvé une analyse d'un certain niveau, qu'on ne croise pas souvent sur les blogs tunisiens. Mais ça me désolé que tu en arrives à des conclusions du genre : "je veux un pays alternatif, à défaut d'être démocratique".

tu dis : "Alors, pourquoi la démocratie est-elle le moins pire des régimes politiques ? Parce qu’elle donne l’ « impression » aux peuples qu’ils gouvernent." Non, la démocratie est moins pire des régimes politiques parce que c'est la seule qui garantit la paix sociale, qui permet un contrôle des dirigeants politiques et qui permet une alternance. Dis-moi comment un régime autre que démocratique peut-il garantir la paix sociale (sans oppression) ? dis moi comment tu arriverais à contrôler les politiques et les traduire en justice le cas échéant, si le régime n'est pas démocratique ? dis moi comment "alterner", si celui qui est aux rênes n'a pas l'intention de se retirer ?

A moins que tu comptes sur la bonne volonté des gens, qui est une denrée plus rare que l'or non seulement ds notre pays et ds notre époque, mais ca était comme ça de tout temps et partout.

Je n'ai pas parlé de "pouvoir" du peuple, parce que cette expression n'a pas pour moi bcp de sens et je pourrais même être d'accord avec toi pr dire que c'est une illusion. mais, les avantages de la démocratie sont incontestables.

M.o.u.l.i.n a dit…

Tu as raison Mani. Oui, la démocratie permet (en principe) un contrôle des gouvernements. Oui, elle est la seule à permettre la paix sociale.

L'état (petit é) démocratique a beaucoup de vertus qui contrebalancent ses inconvénients. Ce qui m'intéresse dans ce post, c'est le processus menant vers la démocratie, et ce dans un contexte précis: celui de pays arabo-musulmans, et en développement. Je dis que l'alternance est plus à portée de main, plus atteignable dans l'immédiat, que la démocratie. Et qu'elle a également des vertus appréciables.

Premier point, il y a un réflexe inné dans nos sociétés moyen-orientales, c'est la déification du souverain. C'est ainsi, celui qui nous gouverne est exempt de tout reproche (c'est le rais, le leaser, le "patron", le père de la nation etc.) Nous sommes plus monarchiques que républicains. Casser ce réflexe est déjà un pas, qui peut être fait par l'alternance.

Second point, les dirigeants actuels ne font pas confiance aux urnes. Vu la situation, ils savent que la démagogie extrêmiste l'emporterait sans peine. L'alternance au sein de personnes qui partagent une confiance mutuelle est aussi un pas, plus à portée de main.

Comme toi, je ne me satisfais pas d'une situation où les jeux seront faits entre une caste de dirigeants. Comme toi je veux avoir la possibilité de contrôler ces dirigeants. Mais c'est un long chemin, et la prochaine borne kilométrique, c'est l'alternance.

Mani l'Africain a dit…

Je sais pas si tu as eu connaissance des analystes qui disent que, vu le contexte et l'héritage historique, un premier pas vers la démocratie ds un pays sous développé qualconque serait que le parti au pouvoir se divise en 2 grands partis. Je me rappelle avoir lu ça à propos de l'Egypte, mais c'est tout à fait valable pr la Tunisie aussi. Le but étant d'opérer une alternance, peu importe si le moyen est un peu artificiel. D'ailleurs, le moyen n'est pas si artificiel que ça vue que :

- le parti au pouvoir concentre la majorité des "meilleurs" politiciens, les plus talentueux et les plus expérimentés et qui ne doivent pas être perdus pr le pays.

- la diversité au sein d'un parti unique est telle que le miracle est qu'il reste tjs unique ! Une division en 2 partis est toute à fait justifiée vue le nombres d'idéologies contradictoires qui cohabitent au sein de ce mm parti.

Cela aurait pu se produire en Tunisie de l'après 87. La "jeune garde" (représentée par les club 7 novembre, information à vérifier car j'avais 5 ans à l'époque, LOL) aurait pu se démarquer de l'ancienne (représentée par les cellules du parti). On peut très bien imaginer une division "droite / gauche" ou "conservateur / libéraux" ou autre ...
(si tu as des lectures dans ce sens n'hésite pas à me donner des références).

Le problème, c'est qu'une alternance non démocratique ne peut être atteinte que par des moyens peu probables et dangereux : une division du parti-unique ne peut être tolérer par le dirigeant déifié. A ce moment, soit on se fie à sa sagesse et sa clairvoyance (qui sont une fonction décroissante du temps, on l'a vu ds plein de pays autour du monde), soit on attend un coup d'Etat !!

Donc : ne pas compter sur la bonne volonté des dirigeants ni sur les fous furieux qui tentent un coup d'Etat. Pour faire un pas vers la démocratie, je pense qu'il faut commencer par la base : il faut que ça vienne du peuple... et là, estanna ya djaja comme dit le dicton tunisien... mais c'est peut-être aussi ça le sens de l'histoire : il faut attendre (des générations parfois) et quand le peuple demande qque chose, il demande une théocratie pas une démocratie.

difficile à dire et difficile à admettre aussi, mais peut-être que la démocratie se mérite et ne se donne pas au premier venu. Nous avons beau rêvé, le pb peut être une question de générations, pas d'années.

M.o.u.l.i.n a dit…

N'aurions-nous pas eu cette discussion dans un forum auparavant? C'est effectivement la ligne que j'y défendais: une scission interne du parti au pouvoir comme étape essentielle vers l'alternance, puis la démocratie. Une personne m'avais rappelé "la possibilité avortée en Tunsie en 1982, celle du MDS d'Ahmed Mestiri, militant puis ministre destourien qui representait la tendance libérale au sein du Parti Socialiste Destourien. Mestiri fut exclu du PSD par Bourguiba dans les années 70, puis les élections de 82 trafiquées et le MDS saboté".

Concernant mes références, au dela de discussions personnelles je n'ai pas connaissance de sources et références qui seraient documentées avec des études historiques et éventuellement une "étude de faisabilité" contextualisée :-) J'ai peur que de tels travaux n'abondent pas.

Sinon, je partage ton pessimisme quant à la situation et quant aux perspectives politiques immédiates. Mais je refuse obstinément de me dire que c'est plié. Un nouveau monde s'est créé en un siècle, je veux croire que nous cesserons d'être infantilisés de notre vivant. J'espère que la part de lumière des personnes qui y peuvent quelque chose finira par l'emporter sur la part d'ombre... N'est-ce pas, Mani? :-p

Anonyme a dit…

Excellente analyse. J'adhere parfaitement.
Il ne faut glorifier aucun regime, cette attitude aveugle les peuples.
La democratie est un regime "theoriquement" idéal, et pour qu'il le soit, les conditions necessaires qu'il faut instaurer sont pratiquement impossible a reunir, ce qui fragilise le concept, et l'ecarte du demos qui cratos(g aimé cette expression) selon une ethique universelle et un respect de l'HUMAIN.

M.o.u.l.i.n a dit…

@booboo : Rien à ajouter ! :-)

Mani l'Africain a dit…

Cher moulin : je te réponds avec bcp de retard,

Non nous n'avons pas eu cette discussion avant, pacq je ne traine pas souvent sur les forums et je ne discute de ces sujets que sur les blogs, ou plus rarement ds al vraie vie quand on a des interlocuteurs capables de discuter ;-)

Le vie de Mani (le prophète) était consacrée à faire triompher la lumière contre l'obscurité. Tâchons de faire le millionième de ce qu'il a fait, et si nous ne verrons pas l'aube, nos enfants le verront (je ne peux pas être plus optimiste que ça, désolé !).

Bien à toi !