Le croyant comme l’athée «savent» que Dieu existe ou n’existe pas, respectivement. L’agnostique «sait» que l’existence ou l’inexistence de Dieu est improuvable, indécidable. L’objet de ce post est de mettre en lumière un débat de fond qui opposa les philosophes, en filigrane duquel se profile la question de la possibilité de concevoir l’existence de Dieu, rationnellement. Mais il demeure un débat accessible au grand public, dont je fais partie. C’est un débat qui intéresse donc principalement les agnostiques, et est sans objet pour les autres.
Le déterminisme est le postulat fondamental en physique classique, établissant que chaque phénomène observé a une cause qui le détermine. Réciproquement, si on connaît l’état d’un système à un instant, ainsi que toutes les forces qui lui sont appliquées et leurs effets, on peut prédire avec exactitude son état futur. Par exemple, si on connaît la position, la forme et le poids du ballon, le mouvement et la vitesse de la jambe du joueur, la morphologie de son pied, le point d’impact entre le pied et la balle ainsi que son angle et la vitesse du vent, nous pouvons savoir si la balle sera cadrée, et où exactement elle va se loger. Le déterminisme est une condition sine qua non de la prédictibilité, et c’est la raison pour laquelle il intéresse les scientifiques puisqu’il leur permet de prédire et calculer les effets des différents phénomènes et bâtir des «lois».
Beaucoup de gens croient, à tort, que ce principe de déterminisme a été ébranlé par les théories physiques modernes, plus précisément la mécanique quantique et la théorie du chaos. La théorie du chaos s’intéresse à des systèmes dynamiques qui réagissent d’une manière «non prédictible». Plus précisément, si nous connaissons l’état initial du système, nous pouvons connaître son état futur, mais si on se trompe d’une quantité infiniment petite dans l’observation de son état initial, nous pouvons nous tromper complètement dans la détermination de son état futur ; c’est la propriété de «sensibilité aux conditions initiales». Les gens qui opposent théorie du chaos et déterminisme font une confusion entre prédictibilité et déterminisme. Le fait que le système soit non prédictible est le résultat de notre impossibilité de connaître parfaitement son état initial, mais son comportement demeure rigoureusement déterministe. D’ailleurs, le nom original de cette théorie est «théorie du chaos déterministe». La mécanique quantique quant à elle, que je ne comprends pas très bien (Feynman dit d’ailleurs que «personne ne comprend vraiment la physique quantique»), implique l'impossibilité de connaître avec une précision parfaite la position et la quantité de mouvement d'une particule, et qu’on ne peut les connaître qu'à l'aide d'une fonction de probabilité. Cependant, la mécanique quantique est un modèle explicatif décrivant le comportement des particules sans rien dire de leur nature intrinsèque. Encore une fois, qu’il soit impossible d’observer l’état d’un système ou de prédire son comportement ne peut nullement nier le caractère déterministe de son évolution.
Le libre arbitre
Il est communément admis que l’être humain est doté du libre arbitre, qu’il peut choisir librement d’agir, de penser etc. Le déterminisme quant à lui est là pour veiller à ce libre arbitre. C'est-à-dire qu’un être humain, par sa connaissance des choses et des effets de ses actions sur ces choses, peut choisir d’effectuer une action en sachant que l’effet qu’il escompte de son action sera respecté, par le principe du déterminisme. Si le déterminisme n’existait pas, l’humain ne serait pas libre, puisqu’il ne pourra prédire l’effet de ses actions. Ceci est la version rose : nous, humains, sommes libres, et le déterminisme est le garant de notre liberté. Dans cette vision, Dieu se profile déjà à l’horizon, car nous serions des êtres exceptionnels par notre liberté ; et cette liberté justifie le principe de justice divine, le rend acceptable : si nous sommes libres de nos actions, nous pouvons être rétribués ou sanctionnés pour nos actes, c’est le prix à payer pour notre liberté.
La seconde vision est celle qui dit que les êtres humains, tout comme n’importe quelle entité physique, obéit strictement au même principe du déterminisme. Pour reprendre l’exemple du joueur de football, avant même qu’il ne bouge vers la balle, on pourrait savoir où la balle finira par se loger. Car son mouvement vers la balle, ainsi que sa force de frappe sont dépendants de son anatomie et son choix de l’angle de tir et de la direction de la balle est dépendant de sa perception de la position du gardien, de son expérience et de sa psychologie, le tout étant retranscrit dans ses cellules, dans les moindres détails. Notre cher humain se retrouve sous la coupe du principe du déterminisme. L’illusion de liberté qu’il a est le résultat de son incapacité à «observer» son état d’une manière parfaite. Et là, Freud vient en renfort prouvant que notre conscient (la partie sous le contrôle de l’humain) n’est qu’une partie d’un tout, et que l’inconscient a une influence considérable sur le comportement d’un être humain. Ainsi, le conscient, pris tout seul donne l'impression de liberté, mais le système conscient/inconscient en tant que tout serait rigoureusement déterministe. Il est intéressant de noter que, afin de prouver l’existence du libre arbitre, il ne faut pas trouver une situation où un être humain assemble rationnellement un ensemble de raisons afin d’effectuer une action, car dans ce cas il obéirait simplement au principe de déterminisme (le déterminisme des actions par les raisons). Il faudrait au contraire prouver qu’une action effectuée par un humain est gratuite, fortuite, sans raison ni consciente ni inconsciente, pour conclure à sa liberté !
Si on adhère à cette seconde vision, on est tenté de crier Victoire ! Car la justice divine est fortement remise en doute ici. En effet, sur quoi vais-je être jugé si je suis déterminé à faire ce que je fais? Si la combinaison «caractéristiques génétiques + environnement» détermine mon comportement jusqu’à ma mort? Mais c’est aller un peu vite en besogne, car la possibilité de Dieu, qui semble mise à mal en affirmant que les humains ne sont pas exceptionnels, qu’ils sont des entités déterministes dans un système déterministe de bout en bout, pointe le bout de son nez d’une autre porte. En effet, toutes les religions monothéistes accordent à Dieu le pouvoir de connaître tout le passé, mais aussi tout l’avenir. Cette affirmation ne serait pas concevable par un cerveau humain, sauf si on accepte que le libre arbitre n’est qu’une illusion, et que éventuellement, une entité ayant la connaissance parfaite de l’état initial du système ainsi que toutes ses lois pourra prédire tout l’avenir. Dans cette vision, l'existence de Dieu serait concevable à l’échelle humaine.
L’athée est content, soit Dieu ne connaîtrait pas l’avenir, auquel cas les écritures mentent, soit il ne serait pas l’être juste qu’on nous décrit. Le croyant est content, car qu’on adhère à l’une ou à l’autre des deux postures, Dieu est possible, et cette possibilité est accessible à notre raison, et aucune des deux postures ne conclut à l’impossibilité de Dieu. L’agnostique quant à lui reste persuadé de la non décidabilité de la question.