mardi 12 février 2008

Demain, je donne ma main à couper

Notre communauté a réussi à bâtir un petit paradis terrestre dans ce Londres gris et brumeux. Loin des conceptions utilitaristes de la personne prôné par ce satané système capitaliste, dans notre quartier les commerçants s’entraident, s’échangent leurs clients, se prêtent de l’argent mutuellement, et sans intérêts. Tout tourne autour du lieu de prière et autour de nos anciens qui guident les jeunes que nous sommes vers le droit chemin, le seul qui permet le bonheur, et sur terre et dans les cieux. La confiance est absolue au sein de notre communauté. Jamais un frère ne lèverait son regard sur ma sœur, ma mère ou ma femme. Jamais il n’essaierait de me duper sur une marchandise. Et si jamais cela arrivait, il serait le premier à se dénoncer et à exiger d’être puni.

La semaine dernière, il y a eu un litige financier entre deux voisins. Et bien, ni l’un ni l’autre ne se sont échinés à engager un avocat et à passer par un circuit juridique impie qui aurait pu prendre des mois, voire des années, et de l’argent versé indirectement aux soldats qui martyrisent nos frères. Non, chacun s’en est remis à l’autorité du sage Abou Houssam, notre prince local. En quinze minutes, le différend était réglé et tous deux ont accepté le verdict. Pas de casier judiciaire, tout le processus est transparent à la sphère publique. Notre système est inattaquable et est très proche du fonctionnement des premières générations bien guidées. Seule la peine capitale demeure irréalisable. Maquiller une exécution en suicide n’est pas aisé, et les anciens ont décidé d’un moratoire sur la question, et de nous en remettre à la justice Britannique, en attendant mieux. En revanche, les châtiments corporels sont réalisables et réalisés, du moment qu’on n’en arrive pas à l’homicide; on fait comme on peut pour respecter la loi divine. Ma propre cousine et son amant se sont faits fouetter l’année dernière, avec leur consentement et celui de tout le quartier.

Moi, je me suis marié trois fois, avec la bénédiction de ma famille, de mes femmes et de leurs familles. Une anglaise, une bosniaque et une tunisienne. Dans la maison règne une atmosphère surréaliste pour un regard étranger. Passer par la cuisine, et voir deux de mes femmes glousser discrètement en préparant à manger est une sensation que je n’aurais jamais pu vivre en dehors de ma communauté. Ils ont beau crier au scandale, ces adorateurs des institutions modernes, mais on n’en a cure: nous ne violons aucune de leurs lois. Officiellement, mes femmes sont mes concubines. Et si un jour j’en arrivais à en répudier une, Dieu fasse que ça n’arrive jamais, et bien elle ne deviendrait plus ma concubine. Point. Tant que nous sommes solidaires et croyants, ce petit manège comme l’appellent nos détracteurs continuera à leur nez et à leur barbe, par la grâce de Dieu.

Seulement voilà, comme tout le monde, je dois me conformer aux règles, et éprouver ma foi. Ce que je vais endurer demain est écrit depuis la nuit des temps. Je vais finalement expier les longues années passées dans l’ignorance, avant de connaître le bonheur permis. Pourtant, je le jure, je n’ai jamais voulu voler quiconque. Une erreur comptable, qui a fait perdre à mon associé des sommes considérables. Abou Houssam dit qu’il s’agit d’un vol, les anciens ne l’ont pas contredit. Et bien, ainsi soit-il. Je préfère faire face à Dieu purifié de mes méfaits.

Je regarde longuement ma main. J’ai quand même du mal à me faire à l’idée… Demain je la donne à couper.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Cela commençait joliment, avec une vie de quartier sympathique, pour la polygamie, c'est votre choix et celui de "vos" femmes. Et puis l'horreur. Comment peut-on envisager la mise à mort ou la flagellation d'une personne ? Welcome to Hell !

Anonyme a dit…

Désolée, mauvaise manip, n'ai pas pu signer mon commentaire.

M.o.u.l.i.n a dit…

@ Mad Djerba: c'est exactement l'idée du post. Je tiens quand même à préciser qu'il s'agit d'une fiction :-)
Ceci étant, ces systèmes juridiques parallèles existent bel et bien en Grande Bretagne, poussés à l'extrême ici évidemment.