Je ne blâme pas les responsables de l’éducation nationale de ne pas nous avoir enseigné les accords de Sykes-Picot en cours d’Histoire, mais je les blâme pour ne pas nous les avoir enseigné en cours de théâtre. C’aurait pu faire d’excellentes pièces tragicomiques.
Distribution des rôles: Sir Mark Sykes, Mr François Georges-Picot, Sir Henry McMahon, Lord Arthur Balfour, Dr Chaim Weizman et le Chérif Hussein Ibn Ali et ses deux fils Fayçal et Abdallah.
Contexte: Entre 1915 et 1921.
Premier Acte, ou comment entre Islam et arabité, les arabes ont vite choisi
Nous sommes en pleine première guerre mondiale. L’empire Ottoman est agonisant en phase terminale, seule le sauverait une victoire des empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie principalement) auxquels il s’est allié. La guerre s’enlise et les britanniques cherchent le maillon faible chez les adversaires. Et ils l’ont trouvé, le maillon faible : les ottomans, et pour l’achever, un allié de poids : les arabes. Le Chérif Hussein, descendant du prophète et gardien des lieux saint de l’Islam – Mecque et Médine, veut réinstaurer un Etat Hachémite dans tout l’orient arabe et ne veut plus être à la botte des ottomans. Le Chérif voit là une occasion en or de détrôner les turcs du commandement des musulmans. Il est prêt à lever une armée et d’attaquer les turcs par le sud, en partant de l’Arabie. Pour cela, il demande l’appui des impies, des infidèles britanniques contre ses «frères» musulmans. Il contacte Sir McMahon, haut commissaire britannique au Caire, lui proposant de lever une armée contre les ottomans en échange d’un soutien à l’indépendance arabe. Il reçoit carte blanche sous forme d’un accord signé en Octobre 1915. Ce front ouvert par les arabes est pour les britanniques une diversion bienvenue, face au front qui s’enlise en Europe. Et c'est ainsi qu'ils livrèrent ensemble une guerre sans merci aux turcs pendant toute la guerre.
Deuxième Acte, ou comment vendre la peau de l’ours Après la diversion, les choses sérieuses. Pour que leur alliance avec les français et les russes tienne, et pour débaucher les italiens et les associer à leur alliance, il faut aux britanniques un gain escompté de la victoire sur les allemands qu'ils offriraient à leurs bons amis. Quel est ce gain? Encore une fois: les terres de l’empire Ottoman. Comme un grand gâteau, l’empire Ottoman fut dépecé en bonne et due forme. En mars 1915, Istanbul est concédée à la Russie, ainsi les russes auraient les pieds dans l’eau méditerranéenne. En Avril 1915, une large part de l’Anatolie est concédée aux italiens; résultat immédiat: l’Italie rejoint les alliés contre les allemands. Mais, que reste-t-il aux français et aux britanniques? Ca, c’est la surprise du chef: la part du lion est réservée aux français et aux britanniques et elle a fait l’objet des fameux accords Sykes-Picot. Tel un monopoly géant (voir image), l’orient arabe fût équitablement partagé entre français et britanniques. En mai 1916, le britannique Mark Sykes, ministre de la guerre et le diplomate français François Georges-Picot signent ces accords secrets sur le partage des territoires arabes entre les deux empires coloniaux. Comme dans un jeu vidéo, l’Iraq, la Syrie, le Liban, la Palestine et le Koweit d’aujourd’hui sont divisés en quatre parties avec un traçage hâtif et peu précis: deux zones d’administration directe et deux zones d’administration indirecte. Chaque pays prenant une de chaque zone. La Grande Bretagne s’est allouée le pétrole irakien et les français se sont alloués le commerce et la culture avec vue sur la méditerranée avec le Liban et la Syrie. L’importance capitale de ces accords, c’est qu’en regardant la carte, on voit se dessiner les frontières des Etats d’aujourd’hui. Il y a néanmoins une anomalie dans ces accords : la Palestine est désignée comme… zone internationale. Suivez mon regard.
Troisième acte, ou comment les clichés antisémites peuvent avoir du bon … pour les sionistes.
Dr. Chaim Weizman, chercheur en chimie d’origine russe devenu anglais, et leader sioniste, devient un obligé de la cour britannique, surtout après avoir développé un nouveau procédé dans la production de l’acétone, nécessaire dans l’industrie de l’armement britannique. Weizman fit un forcing ininterrompu auprès des autorités britanniques pour qu’ils appuient franchement l’établissement d’un Etat juif en Palestine, et entame des négociations à ce sujet avec … notre bon vieux Mark Sykes. Pendant ce temps-là, la Russie connaît la chute des tsars et la révolution bolchevique, et se retire de la guerre. A ce moment précis, avec le retrait de la Russie, l’Allemagne a gagné virtuellement la première guerre mondiale. Les britanniques croient à ce moment-là que la clé de la première guerre est dans la main des … juifs! D’abord, les britanniques croient que les juifs font et défont les gouvernements aux Etats-Unis. Or, seule une intervention des américains permet encore d’avoir un espoir de gagner la guerre. Ensuite, les cadres fondateurs de la révolution bolchevique sont majoritairement juifs (Trotsky, Ouritsky etc.); un tel appui des britanniques au projet sioniste les motiverait pour reprendre les armes contre les empires centraux. Enfin, les britanniques s’imaginent que les juifs parlent d’une seule voix à travers Weizman et que tous sont sionistes. Suivant ce raisonnement, les juifs feraient jouer leurs influences mondiales, et appuieraient fortement l’effort allié si les britanniques appuient une implantation des juifs en Palestine. Lord Arthur Balfour a comblé le puzzle laissé par Sykes et Picot, en promettant la Palestine aux sionistes, dans sa fameuse déclaration de 1917. Vingt ans plus tard, Mr Weizman va être le premier président de l’Etat d’Israël, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il l’a bien mérité. Il est intéressant ici d’observer que les premières personnalités pressenties pour ce poste de président Israélien ont été Weizman, puis Einstein, deux chercheurs scientifiques… Méditons un peu là-dessus…
Acte final, ou le droit des peuples à l’autodétermination de mon cul Fin de la Guerre, les ottomans suivis par les Allemands capitulent. Lors de la conférence de Versailles en 1919, où les vainqueurs règlent leurs comptes et distribuent les parts du gâteau, Balfour écrit, dans une note confidentielle, que les quatre puissances mondiales (Etats-Unis, Grande Bretagne, France et Italie) sont favorables au sionisme, et que, à propos de la Palestine, tenez-vous bien, «les puissances n’ont jamais fait aucune déclaration de politique, du moins par écrit, qu’elles n’aient toujours eu l’intention de violer». La conférence de paix de Versailles officialise les accords Sykes-Picot, en spécifiant que les zones concernées seront administrées par mandats, britanniques et français. Picot arrive en Novembre 1919 à Beyrouth sonnant le début du mandat français sur le Liban et la Syrie. En 1920, les anglais prennent leurs quartiers à Jérusalem, se préparant à honorer les engagements faits aux sionistes en organisant la colonisation systématique de la Palestine. En 1921, Fayçal, le fils du chérif Hussein, est proclamé roi sous surveillance anglaise en Irak, son frère Abdallah est quant à lui proclamé émir de Transjordanie sous l'oeil attentif des français. Leur père, le Chérif Hussein est toujours roi d'Arabie mais attend toujours que les anglais honorent leurs engagements d’Etat arabe uni, car c'est quelqu'un de profondément optimiste. Mais les optimistes, on sait ce qui leur arrive: ses cousins, les Al-Saoud ne tardent pas à le chasser d'Arabie et à prendre sa place.
Au final, les britanniques ont honoré tous leurs engagements, sauf ceux faits aux arabes. Les arabes en revanche, ont indirectement participé à la chute du dernier Califat musulman, en obtenant en retour ce qu’ils ont aujourd’hui… alors, heureuse?